Instantanés en terre inconnue…
à la rencontre de ma filleule
à toi ma Kalden
Me voilà dans ton pays d’adoption, un long voyage qui me rapproche enfin de toi. Dans 2 jours au plus tard je vais te voir, te serrer dans mes bras, je sais que nous allons vivre un merveilleux moment.
Nous sommes accueillis avec chaleur par Kazi qui nous passe autour du cou les écharpes en soie de bienvenue ainsi qu’un collier de fleurs fraîches.
Plein centre de Katmandou sur la voie principale, pas de route tracée, de la terre et des cailloux avec des trous à ne pas y croire. Des cabanons en parpaings et tôles inachevés, aucune lumière dans les rues, des centaines de motos dans tous les sens, ils roulent tous comme des dingues en klaxonnant à tout va.
Cette nuit je dors chez l’administrateur Népalais de l’hôpital de Lukla, c’est lui qui va organiser mon transfert, je l’appellerai dorénavant “Magic Kazi “.
L’accueil est merveilleux, dîner typique avec une délicieuse soupe Sherpa. C’est alors que se pose le problème pour me rendre à Chialsa.
A cet instant je suis informée qu’il n’y a pas de vol pour aller sur Phaplu et la seule possibilité consisterait à prendre un bus défoncé sur une route moyenâgeuse en ruine pendant une journée entière puis encore presque une journée de marche.
Mes amis font l’impossible pour trouver une connexion aérienne, je leur fais confiance et leur suis déjà reconnaissante. Kazi prend les choses en mains et téléphone sans cesse pour trouver une solution.
Pas d’avion, un hélicoptère depuis Katmandou c’est la ruine, alors il essaie de me caser dans un hélico qui soit monterait sur Lukla à vide ou ne serait pas plein et je pourrais alors partager le vol.
Je dois immédiatement refaire mon sac Sherpa pour être prête à partir dès 6 heures du matin, car au moindre appel il faut vite aller à l’aéroport.
Je vais vite dormir, il est 23 heures heure locale, la nuit sera courte. Je pars demain matin dans l’inconnu complet avec mon sac Sherpa.
Pour une putain d’aventure c’en est une !!!!!!!!! Je me réveille à 3 heures, les chiens aboient en se répondant de maison en maison mais je me rendors et à 6 heures pétantes je suis prête au moindre départ annoncé. À 7 heures Kazi me dit qu’il a trouvé un vol pour Phaplu, d’où entre autres son surnom de “Magic Kazi” car pour lui rien n’est impossible ici, il trouve des solutions à tout.
Nous partons aussitôt pour l’aéroport. Il organise tout, un moine m’accompagne à Phaplu et me remettra entre les mains de quelqu’un descendu de Chialsa pour porter mon sac et m’accompagner dans la montagne. C’est magique, je ne connais personne, ne parle pas la langue et tout le monde s’occupe de moi avec gentillesse. J’attends mon avion au milieu de Népalais bruyants et de trekkeurs croulant sous leurs sacs, des centaines de colis et de paquets hétéroclites un peu partout. Je vais prendre mon petit avion dans un moment. J’apprends par un coup de fil de Karma que la maman de Kalden a été prévenue de mon arrivée précipitée à Phaplu. Encore une heure de plus à attendre, je ne lâche pas mon moine, c’est lui qui va me coacher jusqu’à Phaplu, sur place il m’indiquera la personne venue me chercher car sans parler la langue locale comment faire ? Il est 10 h 30 mais avec le décalage c’est 5 heures de moins pour moi. L’annonce du vol est en Népalais, heureusement mon moine est là. Décollage musclé mais pour l’instant c’est calme et nous survolons une succession de vallées clairsemées de routes de terre sans pont entre elles ou juste un de ci de là. Je comprends mieux la difficulté d’accès. Et puis des pentes cultivées en pagaille, verdoyantes au milieu de forêts et d’habitations éparpillées dans les pentes montagneuses. De gros nuages se profilent à l’horizon, là où nous volons les montagnes sont plus hautes que l’avion, déjà.
J’appréhende l’atterrissage, on verra bien ….. Effectivement atterrissage rock and roll, mais bien, il y a beaucoup de monde qui attend pour repartir et des porteurs disponibles. Mon moine demande à l’un d’entre eux de prendre mon sac sherpa qui pèse un âne mort et de le porter au Numbu hostel, point de rendez vous.
Nous grimpons un bout de mur défoncé et soudain je reconnais Ngawang et les enfants qui m’attendaient. Namasté avec le foulard traditionnel autour de mon cou et nous voilà tous les quatre en pleurs serrés dans les bras l’un de l’autre. Je n’ai jamais vécu une émotion aussi forte et déstabilisante. Kalden me serre les mains et ensemble nous allons dans ce “bistrot” local où je récupère mon sac. Nous buvons du thé bien chaud, j’en offre à mon moine et au porteur et puis nous prenons le chemin pour Chialsa, environ 3 heures de marche. Ngawang prend mon sac sur son dos, j’ai honte, c’est tellement lourd, Kalden prend mon petit sac à dos et Kalsang me prend la main pour me guider et m’aider à marcher.
Salleri est en vue, impensable, une rue principale en pente raide avec des maisons délabrées, terre battue au sol, chemin défoncé par les pluies, et chacun sur le pas de la porte avec le sourire et le Namasté accueillant. Ngawang court de maison en maison et cherche à tout prix quelqu’un qui aurait cuisiné des “momos”, ces délicieux raviolis du pays.
Elle nous amène enfin dans un petit réduit où des femmes boivent du thé rouge succulent que je déguste à mon tour. Encore une tasse et puis ces momos absolument délicieux. Ngawang me sert et me ressert, je commence à comprendre que pour les honorer il faut manger et boire sans cesse.
Nous repartons, il fait 30°, c’est raide, caillouteux, je n’en peux plus. Les enfants, chacun de leur côté, me tirent par la main et toutes les 20 mns Kalsang me dit qu’il reste encore 20 mns, mais nous marchons depuis déjà 2 heures, c’est une vraie canaille.
Je n’en peux plus, c’est impressionnant, Ngawang avance comme un vrai sherpa et m’attend gentiment adossée à un talus. Elle me tend alors une pomme pour me rafraichir, je sais que je ne dois pas la manger mais je comprends très vite que nous ne repartirons pas tant que je n’aurai pas repris des forces. Après tout je sens qu’ici rien ne peut m’arriver de mauvais, alors je croque cette délicieuse pomme et je repars.
La langue est une vraie barrière, Kalsang parle tout de suite quelques mots d’anglais, Kalden est plus timide, plus réservée, elle se détendra peu à peu avec le chemin et nous arriverons à échanger, avec les yeux et le cœur tout se passe bien.
La montagne n’en finit pas de monter avec le dernier tronçon constitué de marches hautes en pierres, je suis sur le point de m’évanouir.
Aller de Phaplu à Salleri puis Chialsa relève pour moi de l’exploit. Pas de voiture, pas de motos, pas de chevaux, juste marcher et marcher encore. C’est un chemin caillouteux, profondément creusé qui descend et monte dans tout Salleri d’abord puis dans la forêt ensuite, une partie est effondrée à la suite de la mousson, impossible de contourner, il faut tracer au milieu des éboulis. Pendant la mousson ce chemin doit se transformer en torrent qui emporte tout sur son passage. Je comprends à présent la difficulté pour acheminer des colis à dos d’homme, c’est de la folie !!! Et pourtant ils le font tous les jours et avec le sourire en prime, ils n’ont pas le choix de toutes façons. Aucun mendiant, chacun travaille, les échoppes sont ouvertes, et tu sembles partout le bienvenu.
Enfin Chialsa est en vue, nous arrivons enfin à la maison. Un peu le choc, mais aussitôt du thé, des œufs durs bien chauds et des sourires encore et encore……..
Je donne tous les cadeaux, ils sont fous de joie.
Je me remplis de thé, de pommes. Ngawang me fait comprendre qu’elle est très heureuse de me recevoir chez elle. L’amour efface bien des barrières, jamais je n’aurais imaginé un jour dormir, manger, vivre dans une pareille maison.
Malgré tout, depuis un moment je m’y sens bien, j’oublie tout le côté matériel, autour de moi ce n’est qu’amour et attentions. J’en ai les larmes aux yeux. Pema, un des professeurs de l’école informé de ma venue, me rend visite, et à nouveau du thé, des œufs et des biscuits.
Manger c’est leur faire honneur, mais je vais exploser. Nous parlons anglais avec Pema et il me traduit certaines expressions tibétaines, ça m’aide un peu. Il me propose de me rendre au guest de l’école où j’aurai plus de confort et des sanitaires mais Ngawang me fait des yeux tristes dans son dos et me fait ainsi comprendre qu’elle veut me garder chez elle. Je décline gentiment son offre, il semble déçu, Ngawang et les enfants exultent. Ngawang prépare le dîner sur son feu de bois, c’est magique. Elle encense toute la maison avec un petit braséro en mon honneur et nous vidons les offrandes d’eau claire jusqu’à demain matin. Je me sens bien, c’est fou. Je vais écrire dehors et aussitôt la maman habitant la maison mitoyenne arrive avec ses 4 enfants. Namasté, fous rires, ils sont généreux, ils s’engouffrent tous dans cette minuscule pièce auprès du foyer et nous rebuvons du thé tibétain cette fois ci, tandis que la maman donne le sein à son petit garçon. C’est calme et chaleureux. Puis arrive Doha, la maman de Tenzin, elle est en tenue traditionnelle et m’honore du Namasté avec un foulard de soie passé à mon cou. Tenzin toute timide pointe alors le bout de son nez en hésitant à rentrer. Je lui donne ses cadeaux. C’est la joie et les remerciements. Aussitôt la maman de Tenzin m’invite à venir déjeuner chez elle le lendemain et repart en nous laissant Tenzin. C’est inouï, ils n’ont rien et bien en deçà et ils te donnent généreusement le peu qu’ils ont avec le sourire. Tenzin est très timide et commence peu à peu à se détendre en regardant ma tablette.
Il est 18 heures, la nuit est tombée. Nous sommes auprès du feu de bois tandis que Ngawang continue à cuisiner. Ça sent terriblement bon !!!!!! Kalsang est prodigieusement intelligent, il est drôle, plein d’humour et se débrouille bien en anglais. Il est aux petits soins pour moi et Kalden est tendre et magnifique.
J’ai beaucoup de chance d’être ici. Tenzin ne veut plus partir et sa maman est venue la rechercher, c’est génial. D’un coup il fait très froid, le contraste est violent. Nous dînons d’une assiette composée de riz, d’omelette, d’épinards cuits avec des pommes de terre, le tout accompagné d’un petit potage aux lentilles. C’est très bon mais mon assiette déborde et la leur est très maigre. J’insiste longuement et j’arrive enfin à partager. Je me risque alors sur une sorte de câpre, je crois que mes dernières minutes sont en train de se vivre, c’est du piment puissance Hiroshima !!! Et puis du thé et encore du thé.
J’ai mangé de tout, même les pommes, j’ai bu de l’eau, hé alors, pour l’instant tout va bien. Ils m’abreuvent de thé chaud et d’eau bouillie, ce n’est pas mauvais du tout. Il est 19 h 30, ma couchette est prête pour m’accueillir, lever prévu à 6 heures. Je m’enfourne dans mon sac de couchage en soie, heureusement qu’il est là et je mets le torchon emprunté à Charmey sur la couverture pliée qui me sert d’oreiller auquel je rajoute les 2 petits oreillers piqués à cette intention dans l’avion.
Les conditions sont plus que rudes mais Ngawang me déshabille d’elle même comme une enfant, me couche et me borde. Les enfants se couchent à leur tour et elle rejoint son fils sur la même couchette. La lampe qui pend au plafond restera allumée toute la nuit, c’est pour faire peur aux démons de la nuit. La nuit risque d’être rock and roll. À demain ……..
Couchés à 19 h 30, malgré le cachet et le patch, réveil à 21 heures 30, l’heure à laquelle je dîne habituellement. Je m’adapte en essayant de me détendre, le chat vient se coucher sur mes pieds et je caresse avec les miens ceux de Kalden couchée en face de moi.
6 heures moins le quart, toute la famille se lève. Ngawang est suractive dans sa cuisine, elle allume le feu et prépare des galettes. Chacun à son tour remplit ma tasse de thé et m’oblige à boire, j’ai si peu dormi.
De l’eau chaude m’attend pour la toilette, les enfants brossent longuement leurs dents, mouillent leur visage et leurs cheveux mais ne s’essuient pas. Je sors quelques instants, le ciel hier brumeux est nettoyé et au fond juste à côté de l’Everest surgit le Numbu dans une belle lumière matinale rosée.
Je vais déjeuner et chacun m’apporte du thé, des galettes, de la soupe, du beurre, des biscuits, des pommes de terre chaudes. Je ne peux me servir, ils font tout pour moi. Ils me mettent et enlèvent mes chaussures selon qu’on rentre ou qu’on sort. Ne jamais rentrer dans une maison avec ses chaussures. Ngawang jette de l’eau sur le sol afin de le nettoyer et remplit ses 14 gobelets d’offrandes d’eau claire. Les remplir le matin avant le lever du soleil et les vider le soir avant la tombée de la nuit en jetant l’eau dans la nature.
Ensuite avec son braséro rempli d’encens elle embaume nos lits, les divinités, les photos au mur dont celle de Claude, puis la pièce entière en récitant des litanies. Les enfants jouent au dehors, il est 8 heures.
L’émotion des rencontres a constitué un instant magique et inoubliable.
Pour l’eau je comprends que ça craint, pas de bouteilles si loin, alors je bois de l’eau bouillie et je m’y habitue. En arrivant à la maison, Kalden me brosse spontanément les cheveux, Kalsang s’occupe de mes chaussures, Ngawang veille à mon confort. Je n’ai jamais été aussi chouchoutée par autant de personnes à la fois et c’est bien agréable.
Il est 8 heures, j’écris mes instantanés enveloppée dans ma couverture mais je vais m’habiller et rejoindre les enfants au dehors. J’aurais cependant bien dormi encore une bonne heure. Je grimpe sur la petite colline en face de la maison accompagnée de tous les enfants. Je vois à nouveau le Numbu à côté de l’Everest et des autres immenses montagnes, mais comme chaque jour les nuages sont déjà là et cachent la majeure partie de cette chaine de l’Himalaya pourtant si proche.
Puis Ngawang nous appelle, vite, le Lama nous attend au monastère car il est en train d’écrire une lettre au Dalaï Lama au nom de la communauté de Chialsa et de plus il veut me connaître.
Il parle bien anglais et nous bavardons longuement, il m’offre même ses 2 livres. Il construit actuellement une grande habitation destinée à celles et ceux qui viennent étudier le bouddhisme Tibétain mais également à toute personne désireuse d’y venir sans aucune barrière de religion. J’ai son mail, il a le mien, on va correspondre.
Il rayonne comme un laser, et en pleine empathie je lui dis que dans mon pays lorsqu’on ressent bien les gens on les prend dans ses bras et on les embrasse. Il sourit merveilleusement et nous voilà dans les bras l’un de l’autre avec émotion. J’apprendrai plus tard en consultant ses bouquins qu’il s’agit d’un Rimpoche c’est à dire d’un réincarné, c’est quelqu’un de très important et 7 monastères au Tibet, au Népal et en Inde sont sous son influence religieuse. C’est magique, je l’ai abordé sans aucune réserve, ne sachant pas qui il était, une magnifique rencontre !!!
Soudain la maman de Tenzin vient nous chercher car nous déjeunons chez elle. Il faut grimper durement dans la montagne et enfin sa maison. Avec Tundup, son mari revenu du monastère où il travaille, ils activent le feu et préparent le repas.
Deux galettes de pommes de terre avec une omelette au milieu et un bol de verdure épicée à outrance. Je me régale mais je n’en peux plus. Ils m’obligent avec douceur à manger et à boire du thé sans cesse.
Demain matin nous monterons tous ensemble au sommet de leur montagne pour voir la chaine Himalayenne avant que les nuages ne la cachent. En mon honneur et pour prier pour tous ceux que nous aimons, pour ma famille, pour les parrains et marraines, pour nos amis, pour mon mari, nous allons déplier dans le vent une banderole de Kata (les petits drapeaux multicolores remplis de prières).
Je vais encore en baver car ici tout est plus difficile pour moi quand on se déplace. Je suis prévenue que les grands parents de Kalden ont fait plusieurs heures de marche pour venir me voir.
Je repars aussitôt de chez Tenzin par la forêt accompagnée de ma Kalden et nous arrivons 15 mns après chez Ngawang. Ils m’attendent, habillés superbement. Ils gémissent et pleurent en me serrant dans leurs bras. Ils m’ont apporté des cadeaux, un plateau rempli de pommes avec une tome de leur fromage et des bonbons très secs dont les enfants raffolent (c’est très spécial, du lait de Yack caillé séché et vieilli, dur comme un caillou et un goût impossible)
Ensuite la mama fait la cérémonie des écharpes, imprimée pour moi et blanche pour Kalden. À présent me dit la grand mère elle est comme ma fille et peut m’appeler maman et elle me considère donc à son tour comme sa fille.
L’émotion est à son comble. Ils ont apporté du lait de leurs vaches que nous buvons très chaud selon la tradition avec des œufs durs et des pommes de terre bouillies.
Tout à coup, passant de 30° à l’orage, le ciel explose et il se met à tomber des cordes. Je suis bien à l’abri dans la maison et je commence à m’y sentir vraiment bien malgré la rusticité sévère.
Ngawang rallume son petit brûlot et encense toute la maison. Les grands parents repartent malgré la pluie car ils doivent rentrer chez eux et ils en ont pour quelques heures.
Il est 14 h 30 et le ciel est très noir, il fait presque nuit. Avant de partir, la grand mère qui est une femme superbe et digne dans sa tenue traditionnelle m’embrasse les mains puis me serre dans ses bras en pleurant à chaudes larmes.
Décidément le bonheur partagé fait pleurer !! La pluie redouble de puissance, les enfants entortillés dans leur couette font leurs devoirs, j’écris mon livre et ensuite nous jouerons avec ma tablette tout en écoutant “les mots bleus” de Christophe.
Je suis un peu fatiguée par le changement de rythme et par l’abondance de nourriture si différente. De plus je ne cesse de parler dans mon anglais basique et les enfants me répondent quand ils comprennent en anglais prononciation Tibétaine et s’efforcent de traduire pour les autres. Kalsang se débrouille bien, Kalden a un peu plus de mal, pour les autres adultes dont Ngawang c’est Tibétain ou Népalais, je baragouine quelques mots et je me fais comprendre avec les yeux et les mains. C’est efficace mais épuisant.
Ce soir je réintègre ma couche, je rêve d’une douche et d’un vrai lit tout de même.
Nous partons alors tous ensemble dans un délire de conversation, personne ne parle ni ne comprend la langue de l’autre mais avec le mime et la rigolade nous arrivons à nous comprendre et même à plaisanter.
Kalden défait mes cheveux qu’elle avait nattés ce matin et me recouvre d’une couverture bien chaude en ramenant mes jambes sous mes fesses, il fait froid et humide mais je suis comme un bouddha.
Les enfants me ramènent alors des œufs durs bouillants, des pommes de terre bouillies et une tasse d’eau chaude (thatopani) Le rêve !
L’ambiance est chaleureuse, nous écoutons de la musique en jouant à l’ordinateur, à leur tour les enfants font leurs devoirs, tout est en anglais et ils se débrouillent bien.
17 h 30, l’heure de dîner. Ngawang a préparé du pain avec un ragoût de pommes de terre à la tomate assorti d’une sorte de rougaï vert. Des petites pommes succulentes. C’est délicieux, le meilleur repas que j’ai fait jusqu’à présent. 18 h 30, dodo bien au chaud dans mes couvertures, je prends un stylnox entier pour être sûre de bien dormir cette nuit. 5 heures du matin, Ngawang est déjà debout et comme tous les matins elle a allumé son feu, fait les offrandes aux divinités et encensé toute la maison et ses habitants avec son petit brûlot. Une tasse d’eau chaude m’est servie avec le sourire par ma Kalden. Le jour est déjà bien levé, à 6 h 30 nous partons sur la montagne. Les enfants s’habillent avec les derniers vêtements tout neufs que je leur ai offerts. Je bois un délicieux thé au lait tandis que Ngawang revêtue de sa tenue traditionnelle boucle sa grosse ceinture d’argent et fabrique sa coiffe. C’est un grand jour et un grand honneur pour tous d’aller prier sur cette montagne un peu sacrée. Le ciel est rose, les montagnes au loin bien détachées. Nous partons dans 10 mns. Doha et la femme de Pema arrivent alors dans leur belle tenue traditionnelle, même la petite Tenzin a absolument voulu être habillée ainsi. Nous attaquons directement la montagne derrière la maison, un vrai mur dans la forêt, environ 800 à 1000 mètres de dénivellé à venir. Kalsang fidèle à lui même me dit 25 minutes et bien sur il faudra plus de 2 bonnes heures pour arriver au sommet.
Ça devient de plus en plus difficile pour moi et j’ai du mal à tenir debout, je vacille et au lieu d’avancer je pars en marche arrière. Pema devant moi enlève le moindre caillou ou la moindre branche sur mon chemin. Je ne suis plus stable, je ne vais pas très bien.
Aussitôt les 3 femmes me font une couche avec leurs tabliers et un oreiller douillet avec leurs coiffes. Elles m’enturbannent avec mon écharpe et me ferment les yeux tandis que Kalden me caresse la tête.
Environ 10 mns après je vais mieux et nous repartons pour le sommet.
Ce satané Everest se devine à peine dans les nuages mais le panorama est splendide.
Une grande plate forme avec une double rangée de pierres portant des inscriptions sacrées et provenant du Tibet auprès de laquelle une quinzaine de jeunes moines sont recueillis. Je les invite alors à venir boire du thé traditionnel dans cette grande baraque en bois qui fait office d’auberge. Terre battue au sol, les vaches entrent et sortent à leur gré, un feu au milieu qui enfume tout l’espace.
Un moment génial. Nous dansons avec les 3 femmes puis Ngawang commande des pâtes avec des légumes et du bouillon. Un vrai régal accompagné de thé traditionnel.
Je vis des moments exceptionnels de l’intérieur, le tourisme n’existe pas ici et je me sens totalement adoptée par la communauté. Pour les faire rire je danse et leur apprends le french cancan, effet réussi.
Je commence à être triste et Kalden aussi car demain je repars. Il m’est impossible à présent de ne pas revenir, je sens qu’une part de moi vit ici.
Je m’efforce de ne pas pleurer, mais c’est difficile. Revenus à la maison Ngawang encense à nouveau la maison et met une planche dehors devant la maison avec un minuscule tabouret. Elle me fait signe de m’asseoir et enlève alors mes chaussures et mes chaussettes, retrousse mes pantalons et me lave les pieds comme l’aurait fait maman. C’est incroyable et terriblement touchant. Ce matin on m’a bien fait comprendre que je devais me laver entièrement demain y compris les cheveux et qu’elles s’en occuperaient.
Tout est très sale ici, les murs, les sols, les vêtements, mais c’est normal, ils vivent sur de la terre humide, en revanche le corps est propre, ils se lavent et sentent bon. Là encore magie !
Pendant que j’écris Kalden est blottie contre moi et joue avec mes doigts, nous savons toutes deux que demain sera difficile. Mon départ est confirmé pour demain matin à partir de 11 heures.
Je me tiendrai prête la mort dans l’âme. Ngawang lave le linge dehors sur une planche à même le sol, celle qui servira aussi à se laver. En me voyant sortir elle se lève aussitôt et m’apporte une assiette remplie de patates chaudes et d’œufs durs avec une sauce à mourir, du thé fumant à volonté. Je continue à boire et à manger.
Ce qui est incroyable c’est que je peux être malade en ne faisant rien de particulier la plupart du temps. Chacun m’a bien recommandé ici de faire très attention, hé bien j’ai mangé de tout, j’ai bu de tout et je n’ai eu aucun problème.
Ce pays me va décidément bien !!!!!!! Je vais encore vivre un moment inouï. Ngawang ne peut rien m’offrir en remerciement de mon attitude à l’égard de sa famille, aussi si j’accepte elle m’offre ce qu’elle a de plus cher au monde, de partager sa fille qui désormais pourra m’appeler maman. Nous pleurons tous ensemble, demain sera très très dur je le crains.
Décidément tout est incroyable ici. Ngawang ôte de son doigt son seul bijou, la seule bague qu’elle possède et me la donne pour me porter chance. Elle est ornée d’une pierre qui vient du Tibet. Je refuse de toutes mes forces mais en pleurs avec Kalden elles insistent et me la passent au doigt. Je ne la quitterai jamais !!!!!!! Pour fêter l’évènement à nouveau du thé et des œufs durs.
Les enfants font leurs devoirs, j’écris, Ngawang cuisine, tout est serein. Leurs livres en anglais sont très bien faits et ils savent aller chercher les éléments d’informations dans leur documentation. Ngawang revient avec une délicieuse tasse de lait chaud. Je vais devenir un vrai bouddha (le pire c’est qu’elle attend que j’ai bu avec une tête de chat triste et aussitôt le bol avalé elle revient avec un autre à ras-bord) .
Je suis prête pour la nuit avec mon pyjama et voici que les voisins à côté du monastère désireux de me connaître à leur tour et sachant que je repars le lendemain nous invitent tous les 4 à dîner chez eux. Je n’ai pas envie de me rhabiller aussi Ngawang voulant sans doute que je lui fasse honneur me drape à la manière d’un sari dans une pièce d’étoffe un peu chaude, me met des chaussettes, m’enfile ses babouches en plastique et nous voilà partis. 10 mns de marche en babouches sur les cailloux dans la nuit en essayant d’éviter les bouses de vaches, c’est encore rock and roll.
L’accueil est fantastique, toute la famille est réunie. Leur fils, Tsering a un parrain en France grâce à “Graines d’Avenir”, il parle très bien anglais, il est très beau et semble très intelligent, il a 1 an de plus que Kalden qui lui plait beaucoup.
Nous mangeons des pâtes aux légumes et au bouillon, nous parlons beaucoup, les parents baragouinent un anglais pas très éloigné du mien. Leurs enfants bougent beaucoup en reniflant très fortement. Il est 19 h, c’est très tard, nous prenons congé en les remerciant chaleureusement. Je suis chargée d’expédier depuis la France une lettre au parrain et je lui enverrai également des photos de la famille qu’il connaît.
Aussitôt rentrée Ngawang me donne des grigris provenant du Dalaï Lama pour me protéger ainsi que ma famille et mes amis. Je suis à présent ornée d’une médaille sacrée d’un “Tuche Rimpoche” aussi renommé que le Dalaï.
Le dernier matin se pointe à l’horizon tout rose. La maison est encensée, les enfants font leurs devoirs car demain c’est l’école.
J’avoue qu’un bon lit et une bonne douche me manquent mais j’ai eu tellement de bonheur ici que tout l’inconfort est bien loin derrière. Mon sac Sherpa est bouclé, bien plus léger qu’à l’aller. Du lait chaud, de l’eau chaude mais je fais comprendre à Ngawang de ne pas m’apporter de nourriture, je vais exploser et la gorge serrée je ne peux rien avaler. La voilà qui revient alors à grands renforts de lait chaud, non non merci, mais elle semble si malheureuse face à mon refus que je m’exécute…
Le ciel est rose, tranquille, les enfants récitent à haute voix leurs leçons en anglais. Ils sont très appliqués et concernés par leur travail. J’ai vu la différence avec bien des enfants en France, leur maman les élève très bien avec la notion de respect et de partage. Un bel exemple à retenir. Kalsang est un immense charmeur, il est beau à mourir et bouillonne d’intelligence. Je ne me fais aucun souci pour son avenir, il arrivera assurément à faire quelque chose de bien de sa vie. Kalden est délicieuse, attentionnée, mais elle est plus réservée, ne se lâche pas en public alors qu’elle est absolument craquante dans l’intimité.
Elle fera son chemin et je l’aiderai de mon mieux.
L’heure approche et tout le village arrive avec des cadeaux pour moi et mon mari.
Des écharpes de soie blanches, des pommes séchées, des graines, et ceux qui n’ont rien m’amènent 3 pommes, une pomme …. Certains m’offrent des œufs durs.
Kalsang veut à tout prix participer, alors il remplit un sachet de pommes et me les offre. Je vais être obligée de tout prendre, au moins 20 kgs de pommes, plus la tome et les bonbons des grands parents, je trierai une fois à Lukla.
Pema m’apporte mon écharpe blanche, languit de me revoir et je lui offre un de mes pulls pour sa femme.
Ce matin il fait froid, je suis un peu fatiguée et j’appréhende mon départ. Tous les enfants du village sont là, ils chantent et dansent en me demandant sans cesse de les filmer. Ils sont très agités mais Ngawang met un peu d’ordre gentiment.
Elle m’apporte à nouveau du thé bien chaud. C’est vraiment ma plus belle rencontre ici, hormis ma Kalden. C’est une femme courageuse et généreuse, toujours souriante et débordant d’amour. J’ai hâte de la revoir un jour et surtout que mon mari et vous aussi mes amis puissiez la connaître. Ma fille est délicieuse, elle m’habille et je ne peux rien faire par moi même, ne serait ce que mettre mes chaussettes, mes chaussures ou me coiffer … Même passer un coton sur mon visage est de son fait, tout m’est généreusement assisté. La planche sur laquelle Ngawang a lavé le linge et m’a lavé les pieds est dehors. Il ne fait pas très chaud mais elle savonne et lave entièrement Kalsang tout nu à l’eau chaude contenue dans un bidon en plastique. Ça va être le tour de Kalden, ça a failli être le mien. Demain matin c’est l’école, ils seront tout propres, ils sentent bon et ça c’est tous les samedis par tous les temps. Là encore, courage et dignité, une belle leçon. Il est 9 h 15, petit à petit l’heure approche et le temps de mon bonheur rétrécit comme une peau de chagrin. L’hélicoptère est prévu pour 11 heures si j’ai bien compris. Je m’apprête à refermer non pas mon livre mais je l’espère son premier chapitre. Je sais que la plupart du village sera là au moment du départ avec les écharpes pour me dire au revoir et me souhaiter un bon voyage. Ce sera un moment merveilleux mais les larmes vont couler en abondance. Kalsang veut encore me faire un cadeau, alors il sort de sa trousse un stylo vert et me l’offre pour Claude en souriant. La voisine qui occupe la maison mitoyenne et que j’ai rencontrée le premier jour est d’une pauvreté affolante, elle n’a aucune ressource et cependant m’honore en m’apportant une écharpe de soie blanche et une coupe de pommes. Elle n’a rien à elle, sa maison est mise à sa disposition par la communauté et c’est au delà de tout ce que j’ai vu ici. Un tas de pommes de terre à même le sol et quelques couvertures voilà tout ce qu’elle possède. Je veux absolument lui donner quelque chose sans pour autant lui faire l’aumône, elle est trop digne et respectable. Son sourire et celui de ses enfants valent tous les remerciements du monde. Je lui promets de trouver un parrain pour son petit garçon, je ne sais pas encore que spontanément Muriel se proposera pour remplir cette fonction qui aidera toute la famille.
Depuis 5 heures je suis debout, je ressens la fatigue, je lutte contre un spleen qui commence à me gagner. Je me dois de rester gaie pour tous ces gens merveilleux. Ngawang a préparé des œufs et du thé chaud pour accueillir Roland et Muriel. La maman de Tenzin a préparé les écharpes orange qu’elle nous remettra au moment du départ . Nous voilà tous prêts, la tension s’installe. Avec Kalden nous nous serrons dans les bras et bien entendu nous retenons difficilement nos larmes.
Je lui promets de revenir l’année prochaine et lui assure d’avoir confiance en ma parole. Nous partons pour l’esplanade du monastère où doit se poser l’hélicoptère.
Des petits chevaux, des vaches, des chiens, des jeunes moines, occupent l’espace. Les enfants rient en courant pour chasser tout ce beau monde. La place est nette mais l’hélico se fait attendre.
Kalden tout à coup part en courant, je ne comprends pas, elle est en fait partie je ne sais où me chercher une chaise en plastique. Bien sûr je dois m’y asseoir alors que tout le monde est par terre.
Tenzin et ses copines courent dans tous les sens au milieu des “mierdas” qu’elles n’évitent pas toujours. Pour patienter, encore du thé et Kalden dans mon dos ne cesse de me lisser les cheveux, c’est très touchant. Branle bas de combat, l’hélico arrive, tout le monde est prêt pour la cérémonie du thé et des œufs. Muriel et Roland descendent, le pilote est pressé, très pressé, trop pressé.
En le suppliant j’obtiens quelques minutes …… Tout le monde pleure, le thé et les œufs sont symboliquement dégustés. Des larmes coulent sur toutes les joues. Ngawang est en sanglots, Kalsang est désespérément malheureux et triste, Kalden suffoque dans ses larmes. J’en pleure encore en l’écrivant.
Je dois cependant partir, c’est trop dur. Je les serre dans mes bras en leur criant en Tibétain que je les aime
MATIMILAÏ MAYA GARCHU !!!!
Heureusement que Roland et Muriel me soutiennent, seule ça aurait été impossible je crois.
Une dernière étreinte avec ma Kalden en larmes, je monte à regrets dans cet hélicoptère qui s’élève rapidement, trop rapidement.
Ce petit bout du monde s’éloigne.
Je ne vois qu’une minuscule tache rose, celle de ma fille désormais.
Claudine Fayette
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